lundi 16 novembre 2015

Soumission de Houellebecq

http://miscellaneesdecamille.blogspot.com/2015/11/jai-lu-soumission-de-houellebecq.html

Le sixième roman de Michel Houellebecq, Soumission, avait déjà fait polémique avant sa sortie le 7 janvier 2015, date désormais tristement célèbre à cause des attentats de Charlie Hebdo. Je terminais le livre lors de mon Paris-Toulouse lorsque j’ai appris les événements tragiques qui se déroulaient dans la capitale vendredi dernier (13/11/15). C’est donc dans le même climat d’incompréhension et d’angoisse qu’à sa sortie que je décide de vous en parler aujourd’hui.
Michel Houellebecq imagine dans Soumission une France de 2022 dans laquelle des groupes de jeunes identitaires et des groupes de jeunes salafistes s’affrontent régulièrement, avant des élections extrêmement tendues où triomphe un parti musulman, la Fraternité Musulmane, et son leader Mohammed Ben Abbes. Ce bouleversement politique est rendu possible par l’union des partis politiques «traditionnels », le PS et l’UMP, avec le parti musulman, contre le Front National.
La vie en France est ainsi décrite par le personnage principal, François, un quadragénaire professeur de littérature spécialiste de Huysmans à la Sorbonne. Il est tout au long du roman en relation avec des personnages qui s’opposent, soutiennent, ou restent neutres vis-à-vis du nouveau gouvernement. Il voyage également dans le Sud-Ouest de la France, en Belgique, et se promène dans les rues de Paris. Ces escapades, en plus des longues journées passées en solitaire dans son appartement parisien, lui permettent de s’interroger sur sa propre vie et le sens des événements politiques et religieux.
Vous l’aurez donc compris, à travers son roman, Houellebecq cherche essentiellement à s’interroger sur le sentiment religieux dans les sociétés occidentales en général, et pas particulièrement sur la place de l’Islam dans la société française.
Ayant un peu de mal à conclure sur la qualité du roman, je dois me livrer à une brève analyse pour justifier ses points négatifs et positifs.
Soumission Houellebecq

François, un personnage typiquement houellebecquien

Ce qui permet de reconnaître un Houellebecq, en plus de son style d’écriture particulier, c’est bien le personnage principal. On retrouve dans François plusieurs points communs avec les personnages des livres précédents : c’est un quadragénaire, solitaire, mal adapté à son époque, assez cynique, et qui a des problèmes, plutôt d’ordres sexuels et relationnels.
Ce type de personnage semble essentiel pour traiter les problématiques abordées par Houellebecq dans ses œuvres, dans la mesure où le personnage doit être plutôt détaché de la société dans laquelle il vit pour avoir suffisamment de recul et en faire l’analyse la plus objective possible.
Ainsi, François est un personnage désabusé, lassé, et inadapté à l’époque à laquelle il vit. Il est spécialiste de Huysmans, auteur du 19ème siècle, et donc d’un autre temps qui lui paraît plus compréhensible que l’époque à laquelle il vit. Enfin, c’est ce que le personnage aime penser, mais la réalité est plus complexe : François est un personnage individualiste, qui recherche son plaisir et le bonheur, un personnage très XXIème en somme. C’est également un personnage solitaire, comme dit précédemment, qui a des relations particulières, aussi bien avec ses collègues, qu’avec celle qui est un temps sa petite-amie, Myriam. En somme, après nous avoir présenté le François du passé, un personnage qui a une famille, qui a connu le divorce de ses parents avec lesquels il entretient des relations compliquées, Houellebecq nous présente le François du présent, un personnage en déclin, comme les personnages de ses romans précédents. Ce déclin du personnage le détache de la vie active, et le fait entrer dans un mode de contemplation de la vie, qu’il peut analyser et critiquer à sa guise (de manière assez cynique) puisqu’il n’y prend pas part.
Mais il est brusquement rappelé à la vie lors d’un événement bouleversant, ici l’élection du parti musulman. En effet, cet événement a un impact réel sur le personnage, ce qui lui rappelle qu’il fait encore partie de ce monde, et fait jaillir en lui tout un tas de questions et de sentiments. Il refuse dans un premier temps de se faire aspirer, de reprendre part à la vie, et décide de fuir dans le Sud-Ouest de la France. Puis il se rend finalement compte qu’il ne peut fuir plus longtemps, et qu’il doit lutter contre ces événements. Il refuse alors encore de se convertir et de reprendre son poste à l’université, et s’enferme chez lui. Mais peu à peu, après un moment de réflexion et de rencontres qui influencent son choix, il finit par se soumettre : il se convertit à l’Islam et reprend sa vie d’universitaire.

L’ombre de Joris-Karl Huysmans

Comme expliqué précédemment, François est spécialiste de Huysmans, il a écrit une thèse de presque 800 pages sur l’auteur après de nombreuses années passées sur ses traces, notamment dans un monastère. L’auteur est donc cité à plusieurs reprises, et est en quelques sortes utilisé comme ligne directrice du roman.
Pourquoi Houellebecq a-t-il choisi Huysmans ? En me basant sur les quelques connaissances que j’ai de Huysmans, j’imagine que c’est à cause son parcours d’écrivain et d’homme.
Huysmans fait partie du mouvement naturaliste à ses débuts, puis il publie un livre en rupture totale avec les mouvements de l’époque : A Rebours. Ce livre est considéré comme le premier livre de l’esprit décadent, qui est ici envisagé comme solution pour dépasser « le mal du siècle » dont sont atteints certains européens de la fin du 19ème. Son personnage principal, des Esseintes, est un dandy excentrique qui s’est retiré de Paris pour se couper de ses contemporains, lire les œuvres de ses auteurs préférés, et accumulés différentes pièces d’art qu’il aime contempler. A la fin du livre, des Esseintes est obligé de rentrer à Paris. A Rebours est la seule œuvre de Huysmans qui s’inscrive dans le mouvement décadent, l’auteur s’étant par la suite converti au catholicisme et ayant écrit des œuvres plus religieuses.
On observe donc de nombreux points communs entre François de Houellebecq, et le personnage des Esseintes de Huysmans, ainsi que Huysmans lui-même. En effet, François quitte Paris et la société pour se retirer avec ses œuvres avant d’y retourner plus ou moins par obligation, tout comme des Esseintes, et échoue donc comme lui dans cette retraite spirituelle. Ensuite, tout comme Huysmans qui a écrit sa préface 20 ans après la parution du roman, François redécouvre A Rebours, l’œuvre sur laquelle il a fait sa thèse, lorsqu’il est appelé à écrire la préface des œuvres de Huysmans pour la collection La Pléiade. Cette réflexion plus tardive sur l’œuvre de Huysmans et sur son parcours produit une sorte de révélation chez François, qui a l’impression de comprendre l’auteur de manière limpide, ce qui le pousse à réfléchir à sa propre condition. Enfin, Huysmans s’est converti tardivement au catholicisme, comme François, qui après avoir cherché du côté du catholicisme se tourne finalement vers l’islam.
L’histoire de François suit donc en quelques sortes celle de Huysmans en passant par A Rebours.

La religion a-t-elle encore un avenir en Occident ?

Après avoir brossé un rapide portrait psychologique du personnage principal de Houellebecq, et établi une analogie entre lui et Huysmans, on peut s’attaquer à résoudre la question principale que le roman soulève, à savoir si la religion quelle qu’elle soit a encore un avenir en Occident, ou si au contraire notre société tend à la faire disparaitre totalement. Et plus encore, de savoir si le déclin de la société occidentale peut être stoppé par un retour à une religion puissante.
En effet, au fond il n’est pas plus spécialement question de l’islam que de la religion en général dans Soumission. Il est beaucoup fait référence à Nietzsche dans le roman, notamment lors des échanges entre François et Rediger le recteur de la Sorbonne converti à l’islam, et qui l’encourage lui-même à se convertir.
La société occidentale est présentée comme nihiliste : la vie n’a pas de sens, les gens n’ont pas de but, ils n’ont plus de repères depuis le déclin de la religion qui véhiculait des valeurs. En effet, selon Nietzsche, « Dieu est mort », c’est-à-dire que Dieu tend à disparaître des sociétés occidentales, laissant un vide qui doit être comblé par un nouveau système de valeurs morales. Dans son cas, François tente dans un premier temps de se raccrocher à la religion chrétienne pour retrouver un sens à sa vie, mais échoue. Il adopte alors un style de vie décadent, au sens de Huysmans dans A Rebours, et vit reclus de la société.
Mais une fois de plus, ce mode de vie ne lui permet pas de se sentir mieux. Il va donc se tourner vers… L’islam ! La religion ! Comme une bonne partie de ses concitoyens français, François finit en effet par se soumettre à l’islam. Les Français acceptent l’islam comme solution d’une part par opportunisme pour certains (enseignant des institutions musulmanes mieux rémunérés, polygamie, etc.), d’autre part comme réponse au libéralisme des sociétés occidentales qui détruit les valeurs traditionnelles (travail, famille) au profit du matérialisme et de l’individualisme. L’islam offre donc un cadre moral qui s’était perdu en France, mais également une réponse aux différents problèmes du pays, comme le chômage.
Le déclin de l’Occident trouve donc une solution dans l’islam, mais à quel prix ? Par exemple, le chômage est en nette baisse, mais ce n’est pas parce que de nouveaux emplois sont créés, c’est parce que les femmes ne peuvent plus travailler. Les femmes sont d’ailleurs quasiment absentes du livre, à l’exception de Myriam, figure de la femme forte qui préfère fuir en Israël plutôt que de se soumettre, et de quelques ombres de femmes musulmanes que l’on aperçoit sous leur voile, et qui ne sont présentes que pour servir les hommes. La laïcité et certaines libertés (vestimentaires notamment) payent également le prix fort de cette conversion à l’islam et de l’adoption de la charia en France (qui n’est que suggérée dans le roman, et dont certains aspects sont tus).
Ainsi, Houellebecq nous montre à travers son roman comment la religion pourrait avoir un avenir favorable en Occident, et être une réponse à son déclin. Mais le fait que le roman soit un roman d’anticipation nous pousse à nous interroger sur la pertinence de cette solution. En effet, doit-on sans réagir accepter quelque forme de soumission comme réponse aux problèmes de nos sociétés ? Comme Orwell dans 1984 et Huxley dans Le meilleur des mondes avant lui, Houellebecq nous présente une dystopie qui donne matière à réfléchir.

Soumission est-il un roman islamophobe ?

Enfin, avant sa sortie, Soumission a déjà dû faire face à certaines critiques qui le présentaient comme un roman islamophobe. Ces critiques n’étaient fondées que sur des résumés succincts du roman, et l’on se rend compte à la lecture du livre que Michel Houellebecq ne cherche pas dans son livre à faire un manifeste anti-islam.
Mais compte tenu du contexte actuel, et de la crainte grandissante de l’Occident vis-à-vis de l’islam qui se traduit par un certain rejet des populations musulmanes, et la montée des extrêmes ayant des propos limite anti-islam, on est en droit de se poser des questions sur les intentions de l’auteur. Pourquoi choisir l’islam pour son roman d’anticipation ? Michel Houellebecq est-il fou? Je ne pense pas. Est-il provocateur? Probablement.
L’islam dans Soumission est un prétexte, Houellebecq a peut-être choisi cette religion pour provoquer plus, car c’est une religion qui effraye. Admettons que le livre aurait eu moins d’impact si la religion d’Etat avait été le catholicisme ou le judaïsme. De plus, Houellebecq ne porte pas de jugement de valeur sur l'islam. Il utilise certes des clichés dans son livre, comme les femmes voilées et soumises, mais il est également intéressant de voir les informations qu'il décide de donner, et celles qu'il tait, notamment à propos de la charia. En effet, les français sont convertis, les femmes ont moins de droits et de pouvoir, les enseignants doivent être convertis, l'information est contrôlée, etc. Mais on ne fait pas mention d'une application radicale de la charia. Le terme de charia n'est même employé qu'une fois, comme par accident. donc Houellebecq se contente d'imaginer une France où la religion d'Etat serait l'islam. Après, c’est à l’auteur de dire, et à nous de décider s’il est probable qu'une telle situation se produise en France.
Soumission Houellebecq

En bref, le roman de Michel Houellebecq a été victime de critiques injustifiées avant sa sortie, et la lecture du livre vous permettra de vous faire votre propre opinion sur la question. D'autre part, concernant la qualité du livre, je dirai que ce n'est pas le meilleur Houellebecq malheureusement, le style se perd un peu, et tout n'est pas forcément pertinent. Toutefois, c'est un plutôt bon roman d’anticipation, même si un peu délirant parfois, et une bonne occupation pour vos trajets par exemple.

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Je profite de cet article pour rendre hommage aux victimes des attentats de Paris du 13/11/2015, et plus particulièrement à Marie et Mathias, mes amis, qui nous ont injustement quittés suite à l'attaque du Bataclan. Reposez en paix.

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