Le sixième roman de Michel Houellebecq,
Soumission, avait déjà fait polémique avant sa sortie le 7 janvier 2015, date
désormais tristement célèbre à cause des attentats de Charlie Hebdo. Je
terminais le livre lors de mon Paris-Toulouse lorsque j’ai appris les
événements tragiques qui se déroulaient dans la capitale vendredi dernier
(13/11/15). C’est donc dans le même climat d’incompréhension et d’angoisse qu’à
sa sortie que je décide de vous en parler aujourd’hui.
Michel Houellebecq imagine dans
Soumission une France de 2022 dans laquelle des groupes de jeunes identitaires
et des groupes de jeunes salafistes s’affrontent régulièrement, avant des
élections extrêmement tendues où triomphe un parti musulman, la Fraternité
Musulmane, et son leader Mohammed Ben Abbes. Ce bouleversement politique est
rendu possible par l’union des partis politiques «traditionnels », le PS et
l’UMP, avec le parti musulman, contre le Front National.
La vie en France est ainsi décrite
par le personnage principal, François, un quadragénaire professeur de
littérature spécialiste de Huysmans à la Sorbonne. Il est tout au long du roman
en relation avec des personnages qui s’opposent, soutiennent, ou restent
neutres vis-à-vis du nouveau gouvernement. Il voyage également dans le
Sud-Ouest de la France, en Belgique, et se promène dans les rues de Paris. Ces
escapades, en plus des longues journées passées en solitaire dans son appartement
parisien, lui permettent de s’interroger sur sa propre vie et le sens des
événements politiques et religieux.
Vous l’aurez donc compris, à travers
son roman, Houellebecq cherche essentiellement à s’interroger sur le sentiment
religieux dans les sociétés occidentales en général, et pas particulièrement
sur la place de l’Islam dans la société française.
Ayant un peu de mal à conclure sur
la qualité du roman, je dois me livrer à une brève analyse pour justifier ses
points négatifs et positifs.
François, un personnage typiquement houellebecquien
Ce qui permet de reconnaître un
Houellebecq, en plus de son style d’écriture particulier, c’est bien le
personnage principal. On retrouve dans François plusieurs points communs avec
les personnages des livres précédents : c’est un quadragénaire, solitaire, mal
adapté à son époque, assez cynique, et qui a des problèmes, plutôt d’ordres
sexuels et relationnels.
Ce type de personnage semble
essentiel pour traiter les problématiques abordées par Houellebecq dans ses
œuvres, dans la mesure où le personnage doit être plutôt détaché de la société
dans laquelle il vit pour avoir suffisamment de recul et en faire l’analyse la
plus objective possible.
Ainsi, François est un personnage
désabusé, lassé, et inadapté à l’époque à laquelle il vit. Il est spécialiste
de Huysmans, auteur du 19ème
siècle, et donc d’un autre temps qui lui paraît plus compréhensible que
l’époque à laquelle il vit. Enfin, c’est ce que le personnage aime penser, mais
la réalité est plus complexe : François est un personnage individualiste, qui
recherche son plaisir et le bonheur, un personnage très XXIème en somme. C’est
également un personnage solitaire, comme dit précédemment, qui a des relations
particulières, aussi bien avec ses collègues, qu’avec celle qui est un temps sa
petite-amie, Myriam. En somme, après nous avoir présenté le François du passé,
un personnage qui a une famille, qui a connu le divorce de ses parents avec
lesquels il entretient des relations compliquées, Houellebecq nous présente le
François du présent, un personnage en déclin, comme les personnages de ses
romans précédents. Ce déclin du personnage le détache de la vie active, et le
fait entrer dans un mode de contemplation de la vie, qu’il peut analyser et
critiquer à sa guise (de manière assez cynique) puisqu’il n’y prend pas part.
Mais il est brusquement rappelé à la
vie lors d’un événement bouleversant, ici l’élection du parti musulman. En
effet, cet événement a un impact réel sur le personnage, ce qui lui rappelle
qu’il fait encore partie de ce monde, et fait jaillir en lui tout un tas de
questions et de sentiments. Il refuse dans un premier temps de se faire
aspirer, de reprendre part à la vie, et décide de fuir dans le Sud-Ouest de la
France. Puis il se rend finalement compte qu’il ne peut fuir plus longtemps, et
qu’il doit lutter contre ces événements. Il refuse alors encore de se convertir
et de reprendre son poste à l’université, et s’enferme chez lui. Mais peu à
peu, après un moment de réflexion et de rencontres qui influencent son choix,
il finit par se soumettre : il se convertit à l’Islam et reprend sa vie
d’universitaire.
L’ombre de Joris-Karl Huysmans
Comme expliqué précédemment,
François est spécialiste de Huysmans, il a écrit une thèse de presque 800 pages
sur l’auteur après de nombreuses années passées sur ses traces, notamment dans
un monastère. L’auteur est donc cité à plusieurs reprises, et est en quelques
sortes utilisé comme ligne directrice du roman.
Pourquoi Houellebecq a-t-il choisi
Huysmans ? En me basant sur les quelques connaissances que j’ai de Huysmans,
j’imagine que c’est à cause son parcours d’écrivain et d’homme.
Huysmans fait partie du mouvement
naturaliste à ses débuts, puis il publie un livre en rupture totale avec les
mouvements de l’époque : A Rebours. Ce livre est considéré comme le premier
livre de l’esprit décadent, qui est ici envisagé comme solution pour dépasser «
le mal du siècle » dont sont atteints certains européens de la fin du 19ème.
Son personnage principal, des Esseintes, est un dandy excentrique qui s’est
retiré de Paris pour se couper de ses contemporains, lire les œuvres de ses
auteurs préférés, et accumulés différentes pièces d’art qu’il aime contempler.
A la fin du livre, des Esseintes est obligé de rentrer à Paris. A Rebours est
la seule œuvre de Huysmans qui s’inscrive dans le mouvement décadent, l’auteur
s’étant par la suite converti au catholicisme et ayant écrit des œuvres plus
religieuses.
On observe donc de nombreux points communs entre
François de Houellebecq, et le personnage des Esseintes de Huysmans, ainsi que
Huysmans lui-même. En effet, François quitte Paris et la société pour se
retirer avec ses œuvres avant d’y retourner plus ou moins par obligation, tout
comme des Esseintes, et échoue donc comme lui dans cette retraite spirituelle.
Ensuite, tout comme Huysmans qui a écrit sa préface 20 ans après la parution du
roman, François redécouvre A Rebours, l’œuvre sur laquelle il a fait sa thèse,
lorsqu’il est appelé à écrire la préface des œuvres de Huysmans pour la
collection La Pléiade. Cette réflexion plus tardive sur l’œuvre de Huysmans et
sur son parcours produit une sorte de révélation chez François, qui a
l’impression de comprendre l’auteur de manière limpide, ce qui le pousse à
réfléchir à sa propre condition. Enfin, Huysmans s’est converti tardivement au
catholicisme, comme François, qui après avoir cherché du côté du catholicisme
se tourne finalement vers l’islam.
L’histoire de François suit donc en quelques
sortes celle de Huysmans en passant par A Rebours.
La religion a-t-elle encore un avenir en Occident ?
Après avoir brossé un rapide
portrait psychologique du personnage principal de Houellebecq, et établi une
analogie entre lui et Huysmans, on peut s’attaquer à résoudre la question
principale que le roman soulève, à savoir si la religion quelle qu’elle soit a
encore un avenir en Occident, ou si au contraire notre société tend à la faire
disparaitre totalement. Et plus encore, de savoir si le déclin de
la société occidentale peut être stoppé par un retour à une religion puissante.
En effet, au fond il n’est pas plus spécialement
question de l’islam que de la religion en général dans Soumission. Il est
beaucoup fait référence à Nietzsche dans le roman, notamment lors des échanges
entre François et Rediger le recteur de la Sorbonne converti à l’islam, et qui
l’encourage lui-même à se convertir.
La société occidentale est présentée comme
nihiliste : la vie n’a pas de sens, les gens n’ont pas de but, ils n’ont plus
de repères depuis le déclin de la religion qui véhiculait des valeurs. En
effet, selon Nietzsche, « Dieu est mort », c’est-à-dire que Dieu tend
à disparaître des sociétés occidentales, laissant un vide qui doit être comblé
par un nouveau système de valeurs morales. Dans son cas, François tente dans un
premier temps de se raccrocher à la religion chrétienne pour retrouver un sens
à sa vie, mais échoue. Il adopte alors un style de vie décadent, au sens de
Huysmans dans A Rebours, et vit reclus de la société.
Mais une fois de plus, ce mode de vie ne lui
permet pas de se sentir mieux. Il va donc se tourner vers… L’islam ! La
religion ! Comme une bonne partie de ses concitoyens français, François
finit en effet par se soumettre à l’islam. Les Français acceptent l’islam comme
solution d’une part par opportunisme pour certains (enseignant des institutions
musulmanes mieux rémunérés, polygamie, etc.), d’autre part comme réponse au
libéralisme des sociétés occidentales qui détruit les valeurs traditionnelles (travail,
famille) au profit du matérialisme et de l’individualisme. L’islam offre donc
un cadre moral qui s’était perdu en France, mais également une réponse aux
différents problèmes du pays, comme le chômage.
Le déclin de l’Occident trouve donc une solution
dans l’islam, mais à quel prix ? Par exemple, le chômage est en nette
baisse, mais ce n’est pas parce que de nouveaux emplois sont créés, c’est parce
que les femmes ne peuvent plus travailler. Les femmes sont d’ailleurs quasiment
absentes du livre, à l’exception de Myriam, figure de la femme forte qui
préfère fuir en Israël plutôt que de se soumettre, et de quelques ombres de
femmes musulmanes que l’on aperçoit sous leur voile, et qui ne sont présentes
que pour servir les hommes. La laïcité et certaines libertés (vestimentaires
notamment) payent également le prix fort de cette conversion à l’islam et de l’adoption
de la charia en France (qui n’est que suggérée dans le roman, et dont certains
aspects sont tus).
Ainsi, Houellebecq nous montre à travers son
roman comment la religion pourrait avoir un avenir favorable en Occident, et
être une réponse à son déclin. Mais le fait que le roman soit un roman d’anticipation
nous pousse à nous interroger sur la pertinence de cette solution. En effet,
doit-on sans réagir accepter quelque forme de soumission comme réponse aux
problèmes de nos sociétés ? Comme Orwell dans 1984 et Huxley dans Le
meilleur des mondes avant lui, Houellebecq nous présente une dystopie qui donne
matière à réfléchir.
Soumission est-il un roman islamophobe ?
Enfin, avant sa sortie, Soumission a
déjà dû faire face à certaines critiques qui le présentaient comme un roman
islamophobe. Ces critiques n’étaient fondées que sur des résumés succincts du
roman, et l’on se rend compte à la lecture du livre que Michel Houellebecq ne
cherche pas dans son livre à faire un manifeste anti-islam.
Mais compte tenu du contexte actuel, et de la
crainte grandissante de l’Occident vis-à-vis de l’islam qui se traduit par un
certain rejet des populations musulmanes, et la montée des extrêmes ayant des
propos limite anti-islam, on est en droit de se poser des questions sur les
intentions de l’auteur. Pourquoi choisir l’islam pour son roman d’anticipation ?
Michel Houellebecq est-il fou? Je ne pense pas. Est-il provocateur?
Probablement.
L’islam dans Soumission est un
prétexte, Houellebecq a peut-être choisi cette religion pour provoquer plus,
car c’est une religion qui effraye. Admettons que le livre aurait eu moins d’impact
si la religion d’Etat avait été le catholicisme ou le judaïsme. De plus, Houellebecq ne porte pas de jugement de valeur sur l'islam. Il utilise certes des clichés dans son livre, comme les femmes voilées et soumises, mais il est également intéressant de voir les informations qu'il décide de donner, et celles qu'il tait, notamment à propos de la charia. En effet, les français sont convertis, les femmes ont moins de droits et de pouvoir, les enseignants doivent être convertis, l'information est contrôlée, etc. Mais on ne fait pas mention d'une application radicale de la charia. Le terme de charia n'est même employé qu'une fois, comme par accident. donc Houellebecq se contente d'imaginer une France où la religion d'Etat serait l'islam. Après, c’est à
l’auteur de dire, et à nous de décider s’il est probable qu'une telle situation se produise en France.
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Je profite de cet article pour rendre hommage aux victimes des attentats de Paris du 13/11/2015, et plus particulièrement à Marie et Mathias, mes amis, qui nous ont injustement quittés suite à l'attaque du Bataclan. Reposez en paix.
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